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Báo Pháp nói về tướng Giáp

"Si les conditions sur lesquelles nous ne transigerons pas, et qui peuvent se résumer en ces deux mots : indépendance et alliance, ne sont pas acceptées, si la France est assez myope pour déclencher un conflit, sachez que nous lutterons jusqu'à la mort, sans nous laisser arrêter par aucune considération de personnes, par aucune destruction..."

"Giap, le volcan sous la neige", par Jean Lacouture

Le Monde.fr | 04.10.2013 à 17h07 • Mis à jour le 04.10.2013 à 20h36

Le général Giap, le 4 août 2008.

Deux avant la bataille décisive de Dien Bien Phu, le journaliste Jean Lacouture dressait déjà, le 5 décembre 1952, dans les colonnes du Monde, le portrait du général vietnamien, mort vendredi 4 octobre à l'âge de 102 ans.

En février 1946, Vô Nguyen Giap était ministre de l'intérieur du gouvernement présidé par Ho Chi-Minh depuis six mois. Il apparaissait déjà comme le meilleur lieutenant du vieux leader et les journaux vietminh de Hanoï le montraient constamment aux côtés du "président Ho". Un mois plus tôt il avait "fait" des élections qui donnaient au Vietminh 90 % des voix et une écrasante majorité à la Chambre populaire.

L'"homme fort" du régime ne s'imposait cependant pas d'emblée au visiteur qui voyait entrer dans le grand salon de l'ancien résident supérieur au Tonkin, un petit homme de trente-cinq ans environ, mince, un peu voûté ; le large visage coupé de lèvres épaisses aurait paru banal n'étaient le front énorme qui le dominait et les yeux un peu globuleux, mais brûlant d'un feu soutenu. La voix douce se faisait brusquement rugueuse, et le très bon français du leader communiste reprenait alors le rythme sautillant de l'accent vietnamien.

Nous avions naturellement parlé des possibilités d'insérer une indépendance vietnamienne dans la communauté française. Giap dit, abaissant à demi les paupières, et cachant mal une passion sans limite (à Saïgon, un de ses camarades l'avait défini devant nous : le "volcan sous la neige". Oui, ou le machiavélien romantique) : "Si les conditions sur lesquelles nous ne transigerons pas, et qui peuvent se résumer en ces deux mots : indépendance et alliance, ne sont pas acceptées, si la France est assez myope pour déclencher un conflit, sachez que nous lutterons jusqu'à la mort, sans nous laisser arrêter par aucune considération de personnes, par aucune destruction..." Déjà le petit homme au grand front avait cessé de faire penser à un étudiant "bûcheur", mais dix jours plus tard, le 7 mars, c'est encore un tout autre homme qui se dressait sur le balcon du théâtre de Hanoï, saisissant à pleine main le micro, devant plusieurs dizaines de milliers de Hanoïens venus entendre expliquer par les leaders du Vietminh "pourquoi nous avons traité hier avec les Français". Le large visage, vu de loin, prenait une puissance léonine. Et la voix, enflée par le micro, une intensité surprenante. Ce fut un tribun populaire, railleur d'abord, et puis violent, d'un cynisme étonnant, qui retourna la foule indécise. Il avait fondé son argumentation sur les nécessités tactiques, parlé de "simple pause", et donné Brest-Litovsk en exemple.

>> Ecouter le cinéaste Pierre Schœndœrffer sur le général Giap, dans l'émission "Cinq colonnes à la une", en 1964.

 

Il n'aima pas beaucoup se l'entendre rappeler, six semaines plus tard, lors de la conférence de Dalat. Chef de la délégation du Vietminh, il luttait pied à pied contre les arguments de la délégation française, dont le conseiller militaire était le général Salan. Dans la pénombre d'une chambre du Lang-Biang Palace, Giap s'expliquait : "J'ai parlé de Brest-Litovsk ? Peut-être. N'y voyez pas de duplicité... Mais nous nous tenons sur nos gardes. J'ai vu les forces de Leclerc. Comment ne tenteriez-vous pas de consolider vos positions ? C'est dans la logique des choses. Il nous faut donc, de notre côté, tenir le peuple en alerte. La lutte est devenue pacifique, à l'intérieur du cadre du traité. Mais elle continue..." Quelques jours plus tard, la lutte diplomatique, menée de part et d'autre avec intransigeance, conduisait la conférence à l'échec. "C'est un désaccord cordial", nous glissait Giap dans un demi-sourire. Trois mois plus tard on comprenait ce que Giap entendait par "dans le cadre du traité"...

Le désaccord est devenu sanglant, et le diplomate ironique de Dalat est depuis cinq ans le général Giap, commandant en chef des forces armées du Vietminh, l'homme qui a décidé le massacre de Hanoï du 19 décembre 1946 et qui tient en échec depuis lors les meilleures troupes de l'Union française.

UNE EXISTENCE IMPITOYABLE

Il est né en 1911 à An-Xa, petit village de la province de Quang-Binh, dans le Nord-Annam. Son père cultivait un petit terrain et sa mère tissait la toile. Malingre, l'enfant apprit néanmoins de son père, petit lettré, les caractères chinois. Au collège de Hué il se fit remarquer à la fois par sa passion pour la poésie et son adhésion aux doctrines du vieux révolutionnaire Pham Boï-Chau, rentré depuis peu en Indochine et dont les pamphlets nationalistes enflammaient une partie de la Jeunesse.

Il organisa des grèves d'étudiants, fonda un journal manuscrit et collabora bientôt au Tieng Dan (La Voix du peuple), dirigé par un leader nationaliste déjà célèbre, Huynh Tuc-Hang (qui devait d'ailleurs lui succéder au début de mars 1946 comme ministre de l'intérieur du Vietminh). Entré à 19 ans au parti communiste, il était bientôt arrêté.

Ecouter le documentaire "Giap, un mythe vietnamien", diffusée dans l'émission Interception de France Inter en mars 2012.

Quand trois ans après Giap sortit de la prison de Hué, ses parents ne trouvèrent plus les moyens de le nourrir. Il gagna Hanoï, où un professeur du lycée, M. Dang Thaï-Mai, futur leader vietminh, l'hébergea et le prépara au baccalauréat. Il devenait bientôt le précepteur des jeunes frères de son professeur, puis épousait leur sœur. Étudiant en droit, Giap collaborait au journal Le Peuple.
En 1939, lors de l'interdiction du parti communiste, il échappa à une perquisition. Mais plusieurs de ses amis et sa femme étaient arrêtés. Il ne la revit pas. Elle devait mourir en prison, deux ans plus tard (et l'on ne peut oublier cet épisode tragique dès qu'il s'agit de définir Giap, homme de passions totales...). Il réussit à gagner la Chine. Quand il arrive à Yun-Nan-Fou, à trente ans, Vô Nguyen Giap est déjà l'une des trois ou quatre meilleures têtes du PCI (Parti Communiste Indochinois) En décembre 1944, désigné par le "Tong Bo", ou comité central du parti, Giap revient, le premier parmi les leaders du Vietminh, dans la haute région tonkinoise pour prendre le commandement de petits groupes de guérilleros qui luttent d'abord avec une certaine efficacité contre l'administration française et qui, se retournant ensuite contre les "Japs", permettront au Vietminh de se targuer plus tard d'une "résistance" antijaponaise dont le caractère symbolique ne pouvait échapper à l'état-major nippon.

Mais la carrière militaire de Giap est commencée...

L'HOMME DE GOUVERNEMENT

Dans le premier cabinet Ho Chi-Minh, Giap reçoit non le portefeuille de la guerre, mais celui de l'intérieur, celui de l' " ordre révolutionnaire ". Sa poigne évitera à Hanoï les horreurs de massacres tels que ceux qui le 2 septembre ensanglantèrent Saigon. Mais elle s'appliquera bientôt à une épuration dont les nationalistes non communistes seront les nombreuses victimes.
Entre tous les leaders vietminh, Giap s'impose bientôt comme le " politique " par excellence, face aux théoriciens formés à Moscou et aux extrémistes de culture chinoise tels que Ha Ba-Kang, Ho Tung-Mau et Tran Huy-Lieu. Il est alors l'homme des compromis et des coalitions, de la tactique de " front national ", d'autant plus opportune qu'en France le tripartisme est au pouvoir. Il est aussi tout simplement le plus intelligent et sera l'un des artisans de l'accord du 6 mars 1946 : reconnaissance de fait du gouvernement Ho Chi-Minh et de la " liberté du Vietnam au sein de l'Union française ".

Avec Ho Chi Minh, en 1950.

Le début de la conférence franco-vietnamienne de Fontainebleau marque son apogée politique : Ho Chi-Minh est parti pour la France, et c'est Giap, nommé entre temps président du comité de défense, qui prend en main, pour ne plus les abandonner, les responsabilités fondamentales. Dans son Histoire du Vietnam de 1940 à 1952, Philippe Devillers a résumé cette phase des relations franco-vietnamiennes et de la carrière du leader communiste en ce titre d'un chapitre : "Giap forge ses armes". Quatre mois plus tard il était en mesure d'opposer à l'ultimatum de Haïphong d'autres menaces et de les mettre à exécution. Qui définira jamais la part exacte des responsabilités dans le déclenchement du coup de force du 19 décembre 1946 ? On pense généralement que c'est Giap qui l'imposa à un Ho Chi-Minh malade et déçu.

La guerre s'ouvrait. Et le président du comité de défense, devenu généralissime, prenait le maquis et devenait le premier maître à bord. A la radio désormais sa voix allait alterner avec celle du président – encore que depuis deux ans l'un et l'autre aient dû souvent céder le pas au secrétaire général du "Parti ouvrier", Doang Xuan-Khu, ou à Truong Chinh, l'un des premiers compagnons d'exil de Giap.

LE STRATÈGE

Le "général" Giap allait-il égaler le militant, le tribun, le diplomate ? Dût-on susciter sa colère, on verra en lui le Trotski de la révolution vietnamienne. Chez lui l'organisateur domine naturellement le stratège, et depuis deux ans le premier a peut-être porté tort au second. Car certains mettent au passif de cet étonnant chef de guerre deux fautes importantes : l'acceptation des grandes batailles et la création de vastes unités régulières, divisions comprises. Les deux erreurs sont liées : grandes unités lourdes en vue de grandes batailles. D'où renoncement à la tactique plus " payante " de guérilla généralisée. Mais la faute essentielle de Giap ce fut, selon l'un des meilleurs observateurs de la guerre du Vietnam, un "péché d'orgueil". Lorsque le général de Lattre fut envoyé à Saigon, Giap prononça à la radio une étonnante allocution : "Les Français viennent d'envoyer à l'armée populaire un adversaire digne d'elle. Nous le battrons sur son terrain." Et ce fut Vinh-Yen, la première grande bataille de la guerre, les vagues d'assaut des hommes noirs jetées sur les mitrailleuses françaises, une hécatombe. Deux fois encore, à Dong-Trieu et à Ninh-Binh, Giap allait renouveler son défi à de Lattre. Deux fois ses meilleurs régiments remontèrent décimés vers la montagne ou les collines calcaires qui surplombent au sud la rizière du delta. Hanoï s'éloignait de Ho Chi-Minh.

Mais en dépit d'erreurs de conception, surprenantes chez ce réaliste, on convient volontiers dans les milieux militaires qu'il a souvent fait preuve d'une véritable habileté manœuvrière, et que l'offensive sur Ninh-Binh notamment révèle un authentique chef de guerre. C'est néanmoins par l'emploi de la guérilla que Giap fait peser sur ses adversaires la plus lourde menace. Et non seulement la guérilla militaire, mais aussi la politique. Sur ce dernier plan le jeu qu'il mène est d'une virtuosité déconcertante : il sait choisir le moment favorable, l'opération la plus gênante pour ses adversaires, la plus impressionnante aussi pour l'opinion publique de Hanoï, de Saigon ou de Paris. Politique, propagande et stratégie sont en chacune de ses actions constamment liées.
La guerre totale, dont il a donné le signal voilà six ans, il la mène avec une rigueur de leader communiste et de chef de guerre asiatique. "... Nous ne nous laisserons arrêter, disait-il, par aucune considération de personnes, par aucune destruction." Giap a tenu parole.

Jean Lacouture

http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/10/04/giap-le-volcan-sous-la-neige-par-jean-lacouture_3490259_3216.html

 

 

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Monde - http://www.humanite.fr/sites/all/themes/humanite2010/images/pictos/humanitefr.pngle 4 Octobre 2013

Vo Nguyen Giap: "Ma stratégie était celle de la paix"

Mots clés : l'humanité, vietnam, guerre du vietnam, nguyen giap,

Le stratège de l'indépendance du Vietnam est mort ce vendredi. Pour l'Humanité, Dominique Bari avait rencontré le général Vo Nguyen Giap, chez lui à Hanoï. Nous republions cet entretien exclusif recueilli en 2004

Hanoï, envoyée spéciale. À une trentaine de mètres en retrait de la rue Hoang Diêu, se situe la villa où vit le général Vo Nguyen Giap, entouré de sa femme Dang Bich Ha et de ses enfants et petits-enfants. Un petit-fils passera la tête au cours de l'entretien que nous accorde le général, en uniforme, dans le salon du bâtiment «officiel» où s'entrecroisent les drapeaux.

Sur les murs des photos de Hô Chi Minh et des messages de salutations brodés venus de tout le pays. Nous irons ensuite dans la villa familiale où nous attend Dang Bich Ha. L'interview se déroule en français, langue que maîtrise parfaitement le général Giap. Ce sera aussi l'occasion d'exprimer son regret de ne jamais avoir pu aller en France. «Je ne connais de Paris que son aéroport où j'ai fait escale quelques heures pour me rendre à Cuba.»

Il y a cinquante ans, la chute de Dien Bien Phu ouvrait la voie aux accords de Genève et à la fin de la première guerre du Vietnam. La France aurait, elle, pu éviter ce conflit ?

Général Giap. Nous avions proclamé notre indépendance le 2 septembre 1945 mais les colonialistes français ont voulu réimposer par la force leur domination sur la péninsule indochinoise. De Gaulle avait déclaré à Brazzaville qu'il fallait restaurer le régime colonial par les forces armées. Nous avons toujours cherché à négocier pour éviter que le sang coule. Leclerc, envoyé à la tête de l'armée française pour reconquérir l'ancienne colonie, s'est vite rendu compte qu'il ne s'agissait pas d'une promenade militaire mais, a-t-il dit, du combat de tout un peuple. Leclerc était un réaliste. Avec Sainteny, il faisait partie de ces gens raisonnables qui étaient en faveur de pourparlers, mais du côté du gouvernement français, on ne l'entendait pas ainsi. Nous avions conclu un accord en mars 1946 et fait une grande concession sur la Cochinchine, notre objectif final de l'indépendance totale et l'unité du pays.

À la mi-avril 1946, je participais à la conférence de Dalat. Les Français ne cachaient pas leur intention de rétablir leur domination en Indochine. Je leur ai dit alors clairement que l'ère des gouvernements généraux d'Indochine était close. J'ai quitté Dalat convaincu que la guerre était inévitable. Une fois déclenchée, il y a eu pourtant quelques chances de l'arrêter. Le président Hô a plus d'une fois appelé le gouvernement français à négocier. Pour montrer notre bonne volonté, Hô Chi Minh n'ajourna pas sa visite en France pour participer à la conférence de Fontainebleau. Pendant ce temps, la situation ne cessait de s'aggraver, au Nord comme au Sud. À la fin novembre 1946, les troupes françaises attaquèrent et occupèrent le port de Haiphong. Un mois plus tard, le général Morlière, commandant des troupes françaises au nord de l'Indochine, lançait un ultimatum exigeant la présence française dans un certain nombre de positions, le droit de maintenir l'ordre dans la capitale, et le désarmement des milices d'auto-défense de Hanoi. Nous décidâmes de déclencher la résistance.

 

1946-1975, le Vietnam a connu trente ans de guerre. Quelles ont été les différences entre les deux conflits?

Général Giap. La guerre reste la guerre mais avec les Américains, ce fut autre chose, un conflit néocolonial avec d'abord une intervention de troupes américaines et, après, une guerre vietnamisée. On a alors changé la couleur de peau des cadavres. Les Américains étaient naturellement sûrs de leur victoire et n'ont pas voulu entendre les conseils des Français qui avaient fait l'expérience de se battre contre les Vietnamiens. Les États-Unis avaient effectivement engagé des forces colossales et peu de gens, même parmi nos amis, croyaient en notre capacité de les vaincre. Mais les Américains n'avaient aucune connaissance de notre histoire, de notre culture, de nos coutumes, de la personnalité des Vietnamiens en général et de leurs dirigeants en particulier. À MacNamara, ancien secrétaire à la Défense des États-Unis que j'ai rencontré en 1995, j'ai dit :«Vous avez engagé contre nous de formidables forces artilleries, aviation, gaz toxiques mais vous ne compreniez pas notre peuple, épris d'indépendance et de liberté et qui veut être maître de son pays.»

C'est une vérité que l'histoire a de tout temps confirmée. Pendant 1000 ans de domination chinoise, (jusqu'au Xe siècle), nous n'avons pas été assimilés. Contre les B52, ce fut la victoire de l'intelligence vietnamienne sur la technologie et l'argent. Le facteur humain a été décisif. C'est pourquoi lorsqu'un conseiller américain du service de renseignements m'a demandé qui était le plus grand général sous mes ordres, je lui ai répondu qu'il s'agissait du peuple vietnamien. «J'ai apporté une contribution bien modeste, lui ai-je dit. C'est le peuple qui s'est battu». Brezjinski s'est aussi interrogé sur le pourquoi de notre victoire. Nous nous sommes rencontrés à Alger, peu après la fin de la guerre. «Quelle est votre stratégie?» interrogea-t-il. Ma réponse fut simple: «Ma stratégie est celle de la paix. Je suis un général de la paix, non de la guerre.» J'ai aussi eu l'occasion de recevoir des anciens combattants américains venus visiter le Vietnam. Ils me posaient la question: nous ne comprenons pas pourquoi vous nous accueillez aujourd'hui si bien? «Avant, vous veniez avec des armes en ennemis et vous étiez reçus comme tels, vous venez maintenant en touristes et nous vous accueillons avec la tradition hospitalière traditionnelle des Vietnamiens. »

Vous avez fait allusion au fait que peu de personnes croyaient en votre victoire finale sur les Américains...

Général Giap. C'est vrai. C'est le passé, maintenant on peut le dire. Nos camarades des pays socialistes ne croyaient pas en notre victoire. J'ai pu constater lorsque je voyageais dans ces pays qu'il y avait beaucoup de solidarité mais peu d'espoir de nous voir vaincre. À Pékin, où je participais à une délégation conduite par le président Hô, Deng Xiaoping, pour lequel j'avais beaucoup d'amitié et de respect, m'a tapé sur l'épaule en me disant: «Camarade général, occupez-vous du Nord, renforcez le Nord. Pour reconquérir le Sud, il vous faudra mille ans.» Une autre fois, j'étais à Moscou pour demander une aide renforcée et j'ai eu une réunion avec l'ensemble du bureau politique. Kossyguine m'a alors interpellé: «Camarade Giap, vous me parlez de vaincre les Américains. Je me permets de vous demander combien d'escadrilles d'avions à réaction avez-vous et combien, eux, en ont-ils?» «Malgré le grand décalage des forces militaires, ai-je répondu, je peux vous dire que si nous nous battons à la russe nous ne pouvons pas tenir deux heures. Mais nous battons à la vietnamienne et nous vaincrons. »

 

Licencié en droit et en économie politique, professeur d'histoire, vous n'aviez pas de formation militaire. Or, vous avez activement participé à l'élaboration de cette conception vietnamienne de la guerre. Comment êtes-vous devenu général?

Général Giap. Il aurait fallu faut poser la question au président Hô Chi Minh. C'est lui qui a choisi pour moi cette carrière militaire. Il m'a chargé de constituer l'embryon d'une force armée. Lorsque nous étions impatients de déclencher la lutte contre l'occupation française, Hô nous disait que l'heure du soulèvement n'était pas encore venue. Pour Hô, une armée révolutionnaire capable de vaincre était une armée du peuple. «Nous devons d'abord gagner le peuple à la révolution, s'appuyer sur lui, disait-il. Si nous avons le peuple, on aura tout.» C'est le peuple qui fait la victoire et aujourd'hui encore si le parti communiste veut se consolider et se développer, il doit s'appuyer sur lui.

 

Le Vietnam est aujourd'hui en paix, les conflits se sont déplacés sur d'autres continents. Que vous inspire la situation internationale?

Général Giap. Nous sommes en présence d'une situation mondiale difficile dont on ne sait quelle sera l'évolution. On parle de guerre préventive, de bonheur des peuples imposé par les armes ou par la loi du marché. Il s'agit surtout pour certains gouvernements d'imposer leur hégémonie. C'est plutôt la loi de la jungle. On ne peut prédire ce qu'il peut se passer mais je peux dire que le troisième millénaire doit être celui de la paix. C'est ce qui est le plus important. Nous avons vu de grandes manifestations pour le proclamer. La jeunesse doit savoir apprécier ce qu'est la paix. Le tout est de vivre et de vivre comme des hommes. Faire en sorte que toutes les nations aient leur souveraineté, que chaque homme ait le droit de vivre dignement.

L'Humanité fête son centenaire. Entre notre journal et le Vietnam, il y a une longue histoire de solidarité et de lutte commune pour la paix...

Général Giap. Nous avons beaucoup de souvenirs en commun avec l'Humanité et avec le PCF. Pendant les guerres française et américaine nous avons travaillé régulièrement avec les envoyés spéciaux et les correspondants du journal. Nos relations sont un exemple de solidarité et d'internationalisme. J'adresse à tous nos camarades et à l'Humanité, mes salutations et mon optimisme pour un monde qui, à l'heure de la révolution scientifique et technique, doit permettre à chaque homme de ne plus souffrir de la faim et de la maladie.

http://www.humanite.fr/monde/vo-nguyen-giap-ma-strategie-etait-celle-de-la-paix-550497

 

Monde - http://www.humanite.fr/sites/all/themes/humanite2010/images/pictos/hd.pngle 4 Octobre 2013

Le général Giap, stratège de la liberté, est mort

Mots clés : vietnam, guerre du vietnam, colonialisme, colonisation, indépendance, hô chi minh, guerres coloniales, dien bien phu, nguyen giap,

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_425/vignettes/2013-10-04giap.jpgLe général Vo Nguyen Giap, héros militaire de l'indépendance vietnamienne et artisan de la débâcle française à Dien Bien Phu, est décédé ce vendredi à l'âge de 102 ans. Retour sur son destin hors du commun avec ce portait de Daniel Roussel, publié dans l'HD du 21 octobre 2010.

Et dire que c'est dans des manuels français qu'il a appris l'art de la guerre! Comme le marxisme d'ailleurs... Le général Vo Nguyên Giap, légende vivante au Vietnam, est le stratège qui provoquera, en 1954, la chute de Diên Biên Phu et la fin de la guerre coloniale française. Il va contraindre ensuite, en 1973, les Américains à mettre fin à leur agression. En 1975, il met en déroute l'armée «fantoche» du Sud-Vietnam, le pays est réunifié. Giap est depuis reconnu par ses pairs comme l'un des plus talentueux chefs militaires, un stratège de la guerre du peuple. Mais il est d'abord, pour les Vietnamiens, le représentant le plus fidèle de la pensée dô Chi Minh, père de l'indépendance vietnamienne.

Fidèle à ses idéaux

Né le 25 août 1910 à An Xa, un petit village au centre du pays, fils de paysan riziculteur, tour à tour professeur, journaliste, général d'armée, dirigeant politique, Vo Nguyên Giap était le dernier survivant de la vieille garde d'Hô Chi Minh. Il respire l'intelligence, la force tranquille. Fidèle à ses idéaux, ouvert au monde et à ses changements, il a toujours été proche du peuple et sensible à ses difficultés. Il soutiendra en 1986 une politique de rénovation économique, le Do Moi, qui a permis d'engager le Vietnam sur la voie de la croissance.

L'homme est plutôt affable, aime parler français, son regard est direct, la poignée de main ferme, on devine le dirigeant. Je l'ai rencontré des dizaines de fois en 30 ans. Il n'y a jamais eu de sujets tabous, mais son ton devenait sec quand il s'agissait de questions qui l'agaçaient. Il est décrit comme «un volcan recouvert de neige». Il a été l'homme des brasiers. À son corps défendant, car il se veut «le général de la paix». Un centenaire qui, il y a 2 ans encore, s'exprimait sur la souveraineté du Vietnam sur des îles revendiquées par la Chine. Il vit paisiblement à Hanoi, à deux pas de la place Ba Dinh, où Hô Chi Minh, le 2 septembre 1945, avait proclamé l'indépendance.

Dès l'adolescence, Vo Nguyên Giap milite au collège à Hué. «Nous faisions grève pour dénoncer la tyrannie du directeur et l'interdiction de lire des journaux progressistes.» Hébergé chez un professeur vietnamien «antimandarin et anticolonialiste», il découvre le marxisme «dans des livres français, dont «du communisme» des Éditions sociales. Il termine ses études à Hanoi, ou il est élu «président du comité des journalistes du Tonkin». Devenu professeur d'histoire et journaliste, il entre dans la clandestinité après la déclaration de la Seconde Guerre mondiale.

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_175/vignettes/2013-10-04giap2.jpgEn 1944, il crée, à la demande d'Hô Chi Minh, les Brigades de propagande armée. Le 2 septembre 1945, Hô Chi Minh proclame à Hanoi l'indépendance du Vietnam. Vo Nguyên Giap est nommé ministre de l'Intérieur, en charge des affaires militaires. Le 23 novembre 1946, la marine française bombarde le port d'Haïphong, faisant des milliers de victimes civiles. Le 19 décembre 1946, le Viêt-minh attaque les positions françaises à Hanoi, c'est le début de la guerre d'indépendance. Elle va durer 8 ans et c'est en 1954, après près d'un siècle d'occupation coloniale, que la bataille à Diên Biên Phu « du tigre et de l'éléphant » va mettre fin à la guerre d'Indochine. Giap va s'y illustrer en donnant la pleine mesure de son talent de stratège militaire.

La Bataille décisive de Diên Biên Phu

Le 7 mai 1954, au cri de « di, di » (en avant, en avant), les soldats de Giap submergent le camp retranché français après 55 jours et nuits de combats acharnés. La victoire est totale et ouvre la voie aux accords de Genève, le 21 juillet, et à la fin de la première guerre du Vietnam. Le général Henri Navarre, le nouveau commandant en chef en Indochine, arrivé en mai 1953, a pour mission de trouver une issue honorable face à une guérilla viêt-minh devenue une armée qui harcèle et combat le corps expéditionnaire français du nord du pays au sud.

Le 20 novembre 1953, sous le nom de code « Opération Castor », Navarre lance ses paras sur Diên Biên Phu, située à l'extrême ouest du Vietnam, à la frontière du Laos. Objectif : couper la route aux troupes viêt-minh qui se dirigent vers le haut Laos. « Mais, explique Giap, le premier but de l'état-major français, et peut-être aussi des Américains, est d'établir un camp retranché pour attirer nos forces et nous tendre un piège en nous obligeant à livrer une bataille décisive loin de nos bases. Quand le camp a été renforcé pour devenir imprenable, comme disaient Navarre et le général américain Daniels, ils attendaient notre attaque car ils voulaient casser du Viet, anéantir nos forces. Voilà pourquoi le général de Castries, qui commandait le camp, larguera des tracts sur nos positions pour me mettre au défi de l'attaquer. »

Selon les généraux chinois qui conseillent Giap, dans une bataille en rase campagne il faut suppléer la carence de feu, face à un ennemi mieux armé, par une marée humaine qui le submerge. «Au début, quand les Français se sont installés à Diên Biên Phu, le camp n'était pas encore renforcé. En décembre 1953, une partie de mon état-major, accompagnée des conseillers chinois, m'avait précédé (il les rejoindra le 5 janvier - NDLR) et préparé un plan "attaque éclair, victoire rapide" en 2 jours et 3 nuits. Naturellement, on pouvait lancer une attaque rapide, mais les rapports m'indiquaient que le camp retranché était devenu en peu de temps une sorte de hérisson formidable avec des kilomètres de rouleaux de fils barbelés, de tranchées, de pitons fortifiés, avec une piste d'aviation pour gros-porteurs, des tanks, des canons.»

"La décision la plus difficile de toute ma vie"

Le 14 janvier, les cadres politiques donnent leur aval. Giap doute, mais, dit-il «tout le monde autour de moi, mon état-major, les conseillers chinois, était unanime pour une attaque éclair. Je ne pouvais pas reculer, la date de l'assaut était prévue pour le 25 janvier. Le 24, j'apprends qu'il y a une fuite, j'ai donc reporté l'offensive d'un jour. Le matin du 26 janvier, alors que l'assaut doit être donné dans quelques heures, je prends la décision de changer de plan et de regrouper nos soldats quelques kilomètres vers l'arrière, le temps de mettre en place un nouveau dispositif. Avant le départ pour Diên Biên Phu, Hô Chi Minh m'avait dit : " Toi, en qualité de commandant en chef, tu as au front les pleins pouvoirs, mais c'est une bataille très importante, qu'il faut absolument gagner. Quand on est sûr de la victoire, on se bat, quand on n'est pas sûr, on ne se bat pas."»

Giap informe le général qui dirige la délégation chinoise, mais surtout, il doit convaincre son état-major : «Avec notre plan d'attaque éclair, êtes-vous certains à 100% de la victoire? Si vous n'êtes pas sûrs à 100%, nous devons décider d'un autre plan!» « De toute ma vie, raconte-t-il, c'est la décision la plus difficile que j'ai eu à prendre. Nos troupes étaient chauffées à blanc depuis des semaines, elles n'attendaient plus que l'ordre de déferler sur le camp. Les soldats se posaient des questions, des bruits circulaient : "L'état-major est incompétent, c'est un ordre contre-révolutionnaire."»

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_425/vignettes/2013-10-04giap8.jpg

Le nouveau plan logistique est conçu pour une bataille de plus de 3 mois, jusqu'au 20 juin. Giap a retenu la maxime de Bonaparte: «Là où une chèvre passe, un homme peut passer; là où un homme passe, un bataillon peut passer.» À travers la jungle et la montagne, sous les bombardements et des pluies incessantes de napalm, que les Français utilisent depuis 1950, de nouvelles pistes sont ouvertes, 260 000 porteurs sont mobilisés, 20 000 bicyclettes fabriquées à Saint-Étienne vont porter des charges de 300 kg.

«Pour l'état-major français, il était impossible de hisser l'artillerie sur les hauteurs dominant la cuvette et de tirer à vue. Or, nous avons démonté les canons pour les transporter pièce par pièce dans des caches creuses à flanc de montagne et disséminé une centaine de bouches à feu pour détourner les tirs de riposte.» Ils vont creuser 45 kilomètres de tranchées et 450 km de sapes de communication qui, jour après jour, vont grignoter les mamelons fortifiés. Le 13 mars 1954, à 9 heures, un déluge d'obus s'abat sur le camp. Pendant des semaines, telles des taupes, les soldats vietnamiens vont progresser de boyau en boyau. «Mais du 20 au 30 avril, nos lignes de ravitaillement ont été coupées. Un moment très dur», concède le général Giap qui demande des renforts, fait appel aux populations locales, remonte le moral de ses troupes en expliquant que les conditions sont réunies pour vaincre rapidement. «Le 7 mai, vers midi, on a vu un peu partout des drapeaux blancs », se souvient Giap. À 17 heures, l'état-major français, dont le général de Castries, est fait prisonnier.

Jamais fait d'école militaire

«Le piège tendu par Navarre pouvait fonctionner, reconnaît Giap, car avec notre premier plan d'attaque rapide, il fallait mobiliser des effectifs importants alors que nous étions à 500 kilomètres de nos bases. Navarre était persuadé que nous ne pouvions pas ravitailler notre armée sur ce champ de bataille au-delà de 100 km et pas plus de 20 jours. Sur le plan formel, Navarre avait raison.»

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_175/vignettes/2013-10-04giap4.jpg

Des officiers français se gaussaient de ce soldat qui n'avait jamais fait d'école militaire. « Les Français comme les Américains ont toujours sous-estimé leur adversaire, nos capacités créatrices, l'énergie d'une armée populaire, de tout un peuple qui se lève pour son indépendance et sa liberté. Castries et Navarre étaient des officiers de valeur, mais ils servaient une mauvaise cause. Le peuple français nous soutenait, il avait raison. »

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«Pendant la guerre américaine, j'ai aussi eu des décisions importantes et difficiles à prendre, mais l'expérience de Diên Biên Phu m'a beaucoup aidé. » En 1959 commence la construction de la piste Truong Son, plus connue sous le nom de piste Hô Chi Minh, un gigantesque réseau de communications de 20 000 kilomètres s'étalant du nord du Vietnam au sud, traversant le Laos et le Cambodge, un cordon ombilical qui, pendant 5 920 jours, jusqu'en 1975, va ravitailler en vivres, armes et munitions la résistance du Sud. Elle ouvrira, fin avril 1975, les portes de Saigon.

Offensive du Têt

En 1967, lors de la préparation de l'offensive du Têt, dans la nuit du 30 au 31 janvier 1968, Giap avait prôné une opération coup de poing dans tous les coeurs de ville du Sud-Vietnam, sur tous les objectifs à valeur symbolique comme l'ambassade américaine à Saigon, le siège de la radio et de la télévision, le palais présidentiel, les installations gouvernementales, les bases militaires, les aéroports, les postes de police. Mais sa stratégie, de frapper vite et fort et aussitôt de se retirer, n'est pas retenue. La direction du Parti estime que le maintien, partout, des positions gagnées débouchera sur une insurrection populaire. L'offensive du Têt sera une victoire diplomatique et politique incontestable, mais au prix d'un échec militaire qui laminera les meilleures forces combattantes de la résistance du Sud, que dirige le général Tra Van Tra, un proche de Giap.

10 jours auparavant, le 21 janvier 1968, Giap a débuté le siège de la base américaine de Khe Sanh, au centre du pays. « Notre objectif n'était pas de prendre Khe Sanh, mais de faire diversion, tout en préparant l'offensive du Têt. » L'affrontement durera 77 jours. Giap lèvera le siège fin mars, marquant la fin de l'offensive du Têt.

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_425/vignettes/2013-10-04giap6.jpgEn décembre 1972, pendant 12 jours et 12 nuits, les États-Unis engagent 1 200 avions, dont 200 B52, dans les bombardements de Hanoi et d'Haiphong pour peser dans les négociations de Paris entre Kissinger et Lê Duc Tho. «Nos forces armées ont abattu 77 avions, dont 33 B52, un véritable exploit, et fait prisonniers des centaines de pilotes. Je me souviens que le journal "Nhân Dân" titrait le lendemain : "Le Diên Biên Phu de l'air". Et, un mois plus tard, les accords de Paris étaient paraphés. »

En 1975, Giap est encore à l'initiative avec l'organisation de la campagne d'Hô Chi Minh au cours de laquelle il lance son mot d'ordre aux soldats: «Rapidité, audace et victoire assurée.» En face, un million de soldats sud-vietnamiens déposent les armes, Saigon est libérée le 30 avril. «Vietnam Victoire», titrera « l'Humanité », et Roland Leroy, dans son éditorial titré « Un événement considérable », écrira : « La preuve est faite qu'un peuple qui lutte pour une liberté et son indépendance est invincible. »

La victoire est une question de temps

Le général Vo Nguyên Giap a été commandant en chef de l'armée populaire durant 30 ans. il quitte son poste de ministre de la Défense en 1980, démissionne en 1982 du bureau politique à la suite de divergences avec la direction du Parti. Il restera premier ministre jusqu'en 1991.

Giap était partisan d'une politique d'usure, il pensait que la victoire est une question de temps. « Au cours de notre histoire, chaque fois que nous avons eu une ligne indépendante et créatrice, nous avons obtenu des succès, mais dès que nous avons pris pour modèles des expériences d'autres pays d'une manière dogmatique, ça n'a pas marché. Par exemple, la réforme agraire a été appliquée de façon qui n'est pas vietnamienne, ce fut un échec à tous points de vue : politique, économique, social... »

Daniel Roussel

http://www.humanite.fr/monde/le-general-giap-stratege-de-la-liberte-est-mort-550496

Le général Giap, héros de l'indépendance vietnamienne, est mort

Le Monde.fr

Le général Giap est mort vendredi 4 octobre.

Il restera dans l'histoire l'un des grands chefs de guerre du XXe siècle, le seul à avoir successivement défait la France et tenu tête aux Etats-Unis d'Amérique. Le général Vo Nguyên Giap est mort vendredi 4 octobre à l'âge de 102 ans.

La prise du camp retranché français de Diên Biên Phu en mai 1954 et la chute de Saïgon en avril 1975 demeurent les faits d'armes de ce leader au calibre exceptionnel : autorité personnelle, génie de la logistique, tacticien hors pair. Ces succès, indéniables, font du général Vo Nguyên Giap le dernier d'une lignée de grands stratèges vietnamiens qui, au fil des siècles, ont barré avec succès la route du Sud aux Chinois après les avoir chassés de leur sol. Pour sa part, Giap a largement contribué à faire échouer le retour des Français au Vietnam et, dans la foulée, en pleine Guerre froide, à casser la relève que voulaient assurer les Américains.

Né le 25 août 1911 dans un village du Vietnam central, issu d'une famille de modestes lettrés, Giap a vécu sa jeunesse dans une atmosphère de nationalisme militant : démêlés avec la Sûreté française, dont deux années en prison, de 1930 à 1932. Il passe son bac (français) en 1934, puis enseigne l'histoire et le français à Hanoï, au lycée Thang Long, creuset de militants anticolonialistes. En 1937, à l'époque du Front populaire, il adhère au PC clandestin vietnamien.

Dès lors, son itinéraire est tracé. En mai 1940, en compagnie de Pham Van Dông, futur premier ministre (1954-1986), Giap se rend en Chine pour y rencontrer, pour la première fois, Hô Chi Minh, fondateur du PC en 1930. Il a épousé en 1939 une militante originaire de la même province que lui, qui lui a donné un enfant en 1940. Il ne la reverra jamais : peu de temps après son départ, elle est arrêtée par la Sûreté française. Vicieusement torturée, elle meurt en prison, dit-on, en se suicidant. Giap ne l'apprendra que quelques années plus tard.

FASCINÉ PAR BONAPARTE

Au Lycée Thang Long, à la veille de la seconde guerre mondiale, ses élèves l'avaient surnommé "le général" ou bien, plus précisément, "Napoléon". Si Giap s'est nourri des expériences de ses illustres prédécesseurs qui, au fil des siècles, ont infligé de cinglantes défaites aux envahisseurs chinois, il a aussi étudié dans le détail les campagnes de Bonaparte. Les premiers lui ont appris l'art d'utiliser le terrain, de s'adosser à la cordillère indochinoise, d'assurer ses arrières, d'attirer dans des pièges ses adversaires.

Portrait diffusé le 5 juillet 1976 par l'agence nord-vietnamienne AVI du général Nguyen Giap, ministre de la Défense du Nord Viêt-nam, alors qu'il prenait ses fonctions de vice-premier ministre du gouvernement de la République socialiste du vietnam.

Des tactiques de Bonaparte, Giap a retenu en particulier "l'effet de surprise". En ce qui concerne Diên Biên Phu, nous a-t-il raconté un demi-siècle plus tard, "le chef de nos conseillers chinois s'était prononcé pour une attaque rapide" du camp retranché français situé dans une plaine limitrophe du Laos. L'attaque est fixée au 25 janvier 1954, à 17 heures, soit peu avant la tombée de la nuit. A la dernière minute, Giap s'accorde un délai supplémentaire de 24 heures. Puis il "donne l'ordre de retirer les troupes, y compris l'artillerie". "La décision la plus difficile de ma carrière de commandant en chef".

Pourquoi ? "Pour attaquer, j'ai attendu d'entendre à la radio le général Navarre déclarer que la marée Vietminh est étale...", nous a-t-il expliqué. Navarre est alors le chef du corps expéditionnaire français en Indochine et c'est lui qui a décidé d'établir un camp retranché proche de la frontière entre le Laos et le Vietnam pour y attirer les divisions du Vietminh. "Etale", répète Giap en souriant. "Et je suis passé à l'action !" Le 23 mars. Le PC du général de Castries, commandant du camp retranché, sera occupé le 7 mai, moins de deux mois plus tard.

Giap nous a également rapporté le développement suivant. Quelques semaines avant l'ultime "offensive générale" communiste qui se terminera avec la capitulation de Saïgon le 30 avril 1975, la rade stratégique de Danang, dans le centre du pays, est encerclée par les troupes communistes. "Le gouvernement de Saïgon, celui de Nguyên Van Thiêu, a donné l'ordre au chef local, le général Ngô Quang Truong, de tenir 'jusqu'à la mort'. Je donne l'ordre à la division 312 d'attaquer Danang. Son commandant me répond : 'L'ennemi est assez fort, je vous demande sept jours'. Je lui dis : 'Je prévois que Ngô Quang Truong va se retirer par la mer. Combien de temps lui faudra-t-il ?'".

>> Ecouter le cinéaste Pierre Schœndœrffer sur le général Giap, dans l'émission "Cinq colonnes à la une", en 1964.

 

"Au moins trois jours", finit par lui répondre, en communication radio, le chef de la 312. "Alors, je vous donne trois jours. Ordre est donné aux troupes de se déplacer en plein jour, de descendre la RN1. Vous serez bombardés par l'artillerie de la marine adverses, mais cela n'est pas grave", dit Giap. "Ainsi, a-t-il poursuivi, non seulement la poche de Danang est réduite mais nous avons disposé de plusieurs divisions supplémentaires pour l'attaque finale de Saïgon". "Je leur ai simplement dit : 'foncez sur Saïgon !'". Une fois de plus, l'effet de surprise, la "concentration des troupes", "l'audace", voilà ce que Giap a également retenu de son analyse des campagnes de Bonaparte (il ne parle pas de Napoléon Ier, l'empereur, le politique, qui le fascine nettement moins).

CONFIANCE TOTALE DE SES LIEUTENANTS

Créée seulement à la fin de seconde guerre mondiale, l'armée du Vietminh s'exécute sans broncher. En 2004, à notre grand étonnement, Giap s'est exclamé : "Le retour de l'île d'Elbe, c'est formidable !", dans une allusion aux troupes royales envoyées par Louis XVIII pour barrer la route à l'empereur et qui, au lieu de le faire, se rallient à ce dernier. Pour Giap, c'est un clin d'œil aux rapports qu'il a établis avec ses propres lieutenants : ils lui obéissent au doigt et à l'œil, ils lui font une totale confiance.

Giap s'est également avéré un génie de la logistique. Il nous a rappelé un jour la formule utilisée par Bonaparte lors de la campagne d'Italie : "Là où une chèvre passe, un homme peut passer ; là où un homme passe, un bataillon peut passer". "A Diên Biên Phu, avait-il poursuivi, pour livrer un kilo de riz aux soldats qui menaient le siège, il fallait en consommer quatre pendant le transport. Nous avons utilisé 260 000 porteurs, plus de vingt mille bicyclettes, 11 800 radeaux, 400 camions et 500 chevaux". Sous protection d'une forêt dense, les pièces d'artillerie du Vietminh ont été démontées pour être acheminées sur les collines qui surplombent le camp retranché, où elles ont été réassemblées.

Toutefois, dans le domaine de la logistique, la réalisation la plus étonnante a été, dans les années 60, la "piste Hô-Chi-Minh", immense dédale de pistes abritées dans la jungle et de boyaux qui descendent du nord vers le sud en empruntant le sud laotien et le nord-est cambodgien afin de contourner le dispositif de défense américain dans le Sud. Une "voie à sens unique", diront plus tard les bô dôi, les bidasses nord-vietnamiens. Mais les Américains ne parviendront jamais à couper cette ligne de ravitaillement – hommes, munitions, matériels, chars, blindés – même en recourant à des bombardements massifs, aux défoliants, aux parachutages de centaines de milliers de mines et de pièges anti-personnels.

L'AUTORITÉ DILUÉE D'HÔ CHI MINH

Le général Giap dans son PC de Dien Bien Phu.

Toutefois, personne n'est prophète à domicile et Giap en fera l'amère expérience. Père d'une indépendance qu'il a proclamée le 2 septembre 1945 devant une foule enthousiaste d'un million de gens à Hanoï, Hô Chi Minh a toujours dû composer avec les éléments intransigeants qui dominent le politburo du PC vietnamien. A partir du milieu des années 60, son autorité se dilue. Il devient une icône sans grande influence plusieurs années avant sa mort en 1969. Le général Giap perd son principal point d'appui.

Entre Giap et Lê Duân, éternel secrétaire général du PC, le torchon brûle dès 1966, à telle enseigne que, quand les communistes attaquent une centaine de villes du Sud en 1968 – la fameuse offensive du Têt –, Giap a été envoyé en Europe de l'Est. Il ne sera rappelé au commandement en chef, avec tous pouvoirs, qu'en 1972 pour organiser avec succès la défense du Nord, notamment de Hanoï, contre les terribles bombardements aériens américains auxquels participent les B-52, forteresses volantes.

La victoire de 1975 place Giap sur la touche, à l'exemple d'autres stratèges vietnamiens, jugés trop brillants et trop influents pour ne pas être dangereux. Ce fût notamment le cas, au début du XVe siècle, de Nguyên Trai, fin lettré et grand général, condamné à l'exil intérieur pour ne pas faire d'ombre à son empereur, Lê Loi.

En 1976, année de la réunification officielle du Vietnam, Giap perd le commandement des forces armées. Quatre ans plus tard, le ministère de la défense lui est retiré. Lors du Ve Congrès du PC, en 1982, il n'est pas réélu au bureau politique. En public, Giap ne dit jamais rien et continue d'avoir recours à la langue de bois du communiste discipliné. On le montre aux anniversaires des victoires et ses propos sont censurés. Il lui arrive de passer des mois sans apparaître en public. La propagande officielle lui refuse même la reconnaissance du rôle décisif qu'il a joué dans la victoire de 1975, en transformant, de main de maître, le repli des troupes du Sud en débâcle.

Ecouter le documentaire "Giap, un mythe vietnamien", diffusée dans l'émission Interception de France Inter en mars 2012.

Quand Lê Duc Tho – l'un des ténors du noyau dur du PC et le vis-à-vis de Henry Kissinger lors des négociations de Paris – s'éteint en 1990, Giap tente de reprendre en mains le parti. Mais sa tentative, à l'époque de l'effondrement du Mur de Berlin, fait long feu. Au cours d'un débat à huis clos du Comité central du PC, un délégué lui arrache même des mains un micro, selon le général Pham Xuân Ân (1927-2006). En 1996, Giap est chassé du Comité central et perd, six mois plus tard, son portefeuille de vice-premier ministre en charge de superviser l'économie.

RETOUR SUR LA SCÈNE POLITIQUE

Puis, le temps fait son œuvre, de nouvelles générations de dirigeants se mettent en place, l'information circule plus librement avec le développement exponentiel de la Toile. Giap est toujours là. Il retrouve des coudées plus franches. Comme il a gardé toute sa tête, il en profite pour dire de temps à autre son mot. C'est le cas lorsqu'éclate, en 2009, la controverse sur l'exploitation par des Chinois des énormes gisements à ciel ouvert de bauxite sur les hauts plateaux du Sud.

Les Français, puis les Soviétiques, avaient refusé de le faire, de peur de provoquer un désastre écologique. Giap écrit son hostilité à ce projet à deux reprises au bureau politique. Il connaît le dossier : il était encore ministre, en charge de l'économie, quand, au début des années 90, les experts soviétiques sont venus établir leur rapport. La campagne contre l'exploitation de la bauxite place le gouvernement sur la défensive et le contraint à des ambitions plus modestes.

Devenu centenaire en 2011, très affaibli physiquement, souvent sous perfusion et hospitalisé, Giap ne s'est pratiquement plus manifesté. Entre-temps, comme tous les Vietnamiens qui ont mené une vie censée être exemplaire, Giap a commencé, de son vivant, à faire l'objet d'un culte. Il est en passe de devenir un génie tutélaire. Pour ne pas être de reste, le gouvernement a décidé, en 2012, de lui consacrer un musée.

Hô Chi Minh a eu un réflexe de génie. Quand Giap est allé le rejoindre en juin 1940 dans le sud de la Chine, il n'était âgé que de 29 ans et n'avait aucune formation militaire. Comment le révolutionnaire déjà chevronné – l'oncle Hô avait alors la cinquantaine – a-t-il deviné que le jeune militant avait l'étoffe d'un grand capitaine ? Hô lui a confié la formation des forces d'autodéfense puis la fondation de l'armée populaire vietnamienne. Dès 1948, il en a fait un général de corps d'armée, rang que Giap occupait encore le jour de sa mort.

Jean-Claude Pomonti

http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2013/10/04/le-general-giap-heros-de-l-independance-vietnamienne-est-mort_3490198_3382.html

 

Monde - http://www.humanite.fr/sites/all/themes/humanite2010/images/pictos/hd.pngle 4 Octobre 2013

Le général Giap, stratège de la liberté, est mort

Mots clés : vietnam, guerre du vietnam, colonialisme, colonisation, indépendance, hô chi minh, guerres coloniales, dien bien phu, nguyen giap,

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_425/vignettes/2013-10-04giap.jpgLe général Vo Nguyen Giap, héros militaire de l'indépendance vietnamienne et artisan de la débâcle française à Dien Bien Phu, est décédé ce vendredi à l'âge de 102 ans. Retour sur son destin hors du commun avec ce portait de Daniel Roussel, publié dans l'HD du 21 octobre 2010.

Et dire que c'est dans des manuels français qu'il a appris l'art de la guerre! Comme le marxisme d'ailleurs... Le général Vo Nguyên Giap, légende vivante au Vietnam, est le stratège qui provoquera, en 1954, la chute de Diên Biên Phu et la fin de la guerre coloniale française. Il va contraindre ensuite, en 1973, les Américains à mettre fin à leur agression. En 1975, il met en déroute l'armée «fantoche» du Sud-Vietnam, le pays est réunifié. Giap est depuis reconnu par ses pairs comme l'un des plus talentueux chefs militaires, un stratège de la guerre du peuple. Mais il est d'abord, pour les Vietnamiens, le représentant le plus fidèle de la pensée dô Chi Minh, père de l'indépendance vietnamienne.

Fidèle à ses idéaux

Né le 25 août 1910 à An Xa, un petit village au centre du pays, fils de paysan riziculteur, tour à tour professeur, journaliste, général d'armée, dirigeant politique, Vo Nguyên Giap était le dernier survivant de la vieille garde d'Hô Chi Minh. Il respire l'intelligence, la force tranquille. Fidèle à ses idéaux, ouvert au monde et à ses changements, il a toujours été proche du peuple et sensible à ses difficultés. Il soutiendra en 1986 une politique de rénovation économique, le Do Moi, qui a permis d'engager le Vietnam sur la voie de la croissance.

L'homme est plutôt affable, aime parler français, son regard est direct, la poignée de main ferme, on devine le dirigeant. Je l'ai rencontré des dizaines de fois en 30 ans. Il n'y a jamais eu de sujets tabous, mais son ton devenait sec quand il s'agissait de questions qui l'agaçaient. Il est décrit comme «un volcan recouvert de neige». Il a été l'homme des brasiers. À son corps défendant, car il se veut «le général de la paix». Un centenaire qui, il y a 2 ans encore, s'exprimait sur la souveraineté du Vietnam sur des îles revendiquées par la Chine. Il vit paisiblement à Hanoi, à deux pas de la place Ba Dinh, où Hô Chi Minh, le 2 septembre 1945, avait proclamé l'indépendance.

Dès l'adolescence, Vo Nguyên Giap milite au collège à Hué. «Nous faisions grève pour dénoncer la tyrannie du directeur et l'interdiction de lire des journaux progressistes.» Hébergé chez un professeur vietnamien «antimandarin et anticolonialiste», il découvre le marxisme «dans des livres français, dont «du communisme» des Éditions sociales. Il termine ses études à Hanoi, ou il est élu «président du comité des journalistes du Tonkin». Devenu professeur d'histoire et journaliste, il entre dans la clandestinité après la déclaration de la Seconde Guerre mondiale.

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_175/vignettes/2013-10-04giap2.jpgEn 1944, il crée, à la demande d'Hô Chi Minh, les Brigades de propagande armée. Le 2 septembre 1945, Hô Chi Minh proclame à Hanoi l'indépendance du Vietnam. Vo Nguyên Giap est nommé ministre de l'Intérieur, en charge des affaires militaires. Le 23 novembre 1946, la marine française bombarde le port d'Haïphong, faisant des milliers de victimes civiles. Le 19 décembre 1946, le Viêt-minh attaque les positions françaises à Hanoi, c'est le début de la guerre d'indépendance. Elle va durer 8 ans et c'est en 1954, après près d'un siècle d'occupation coloniale, que la bataille à Diên Biên Phu « du tigre et de l'éléphant » va mettre fin à la guerre d'Indochine. Giap va s'y illustrer en donnant la pleine mesure de son talent de stratège militaire.

La Bataille décisive de Diên Biên Phu

Le 7 mai 1954, au cri de « di, di » (en avant, en avant), les soldats de Giap submergent le camp retranché français après 55 jours et nuits de combats acharnés. La victoire est totale et ouvre la voie aux accords de Genève, le 21 juillet, et à la fin de la première guerre du Vietnam. Le général Henri Navarre, le nouveau commandant en chef en Indochine, arrivé en mai 1953, a pour mission de trouver une issue honorable face à une guérilla viêt-minh devenue une armée qui harcèle et combat le corps expéditionnaire français du nord du pays au sud.

Le 20 novembre 1953, sous le nom de code « Opération Castor », Navarre lance ses paras sur Diên Biên Phu, située à l'extrême ouest du Vietnam, à la frontière du Laos. Objectif : couper la route aux troupes viêt-minh qui se dirigent vers le haut Laos. « Mais, explique Giap, le premier but de l'état-major français, et peut-être aussi des Américains, est d'établir un camp retranché pour attirer nos forces et nous tendre un piège en nous obligeant à livrer une bataille décisive loin de nos bases. Quand le camp a été renforcé pour devenir imprenable, comme disaient Navarre et le général américain Daniels, ils attendaient notre attaque car ils voulaient casser du Viet, anéantir nos forces. Voilà pourquoi le général de Castries, qui commandait le camp, larguera des tracts sur nos positions pour me mettre au défi de l'attaquer. »

Selon les généraux chinois qui conseillent Giap, dans une bataille en rase campagne il faut suppléer la carence de feu, face à un ennemi mieux armé, par une marée humaine qui le submerge. «Au début, quand les Français se sont installés à Diên Biên Phu, le camp n'était pas encore renforcé. En décembre 1953, une partie de mon état-major, accompagnée des conseillers chinois, m'avait précédé (il les rejoindra le 5 janvier - NDLR) et préparé un plan "attaque éclair, victoire rapide" en 2 jours et 3 nuits. Naturellement, on pouvait lancer une attaque rapide, mais les rapports m'indiquaient que le camp retranché était devenu en peu de temps une sorte de hérisson formidable avec des kilomètres de rouleaux de fils barbelés, de tranchées, de pitons fortifiés, avec une piste d'aviation pour gros-porteurs, des tanks, des canons.»

"La décision la plus difficile de toute ma vie"

Le 14 janvier, les cadres politiques donnent leur aval. Giap doute, mais, dit-il «tout le monde autour de moi, mon état-major, les conseillers chinois, était unanime pour une attaque éclair. Je ne pouvais pas reculer, la date de l'assaut était prévue pour le 25 janvier. Le 24, j'apprends qu'il y a une fuite, j'ai donc reporté l'offensive d'un jour. Le matin du 26 janvier, alors que l'assaut doit être donné dans quelques heures, je prends la décision de changer de plan et de regrouper nos soldats quelques kilomètres vers l'arrière, le temps de mettre en place un nouveau dispositif. Avant le départ pour Diên Biên Phu, Hô Chi Minh m'avait dit : " Toi, en qualité de commandant en chef, tu as au front les pleins pouvoirs, mais c'est une bataille très importante, qu'il faut absolument gagner. Quand on est sûr de la victoire, on se bat, quand on n'est pas sûr, on ne se bat pas."»

Giap informe le général qui dirige la délégation chinoise, mais surtout, il doit convaincre son état-major : «Avec notre plan d'attaque éclair, êtes-vous certains à 100% de la victoire? Si vous n'êtes pas sûrs à 100%, nous devons décider d'un autre plan!» « De toute ma vie, raconte-t-il, c'est la décision la plus difficile que j'ai eu à prendre. Nos troupes étaient chauffées à blanc depuis des semaines, elles n'attendaient plus que l'ordre de déferler sur le camp. Les soldats se posaient des questions, des bruits circulaient : "L'état-major est incompétent, c'est un ordre contre-révolutionnaire."»

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Le nouveau plan logistique est conçu pour une bataille de plus de 3 mois, jusqu'au 20 juin. Giap a retenu la maxime de Bonaparte: «Là où une chèvre passe, un homme peut passer; là où un homme passe, un bataillon peut passer.» À travers la jungle et la montagne, sous les bombardements et des pluies incessantes de napalm, que les Français utilisent depuis 1950, de nouvelles pistes sont ouvertes, 260 000 porteurs sont mobilisés, 20 000 bicyclettes fabriquées à Saint-Étienne vont porter des charges de 300 kg.

«Pour l'état-major français, il était impossible de hisser l'artillerie sur les hauteurs dominant la cuvette et de tirer à vue. Or, nous avons démonté les canons pour les transporter pièce par pièce dans des caches creuses à flanc de montagne et disséminé une centaine de bouches à feu pour détourner les tirs de riposte.» Ils vont creuser 45 kilomètres de tranchées et 450 km de sapes de communication qui, jour après jour, vont grignoter les mamelons fortifiés. Le 13 mars 1954, à 9 heures, un déluge d'obus s'abat sur le camp. Pendant des semaines, telles des taupes, les soldats vietnamiens vont progresser de boyau en boyau. «Mais du 20 au 30 avril, nos lignes de ravitaillement ont été coupées. Un moment très dur», concède le général Giap qui demande des renforts, fait appel aux populations locales, remonte le moral de ses troupes en expliquant que les conditions sont réunies pour vaincre rapidement. «Le 7 mai, vers midi, on a vu un peu partout des drapeaux blancs », se souvient Giap. À 17 heures, l'état-major français, dont le général de Castries, est fait prisonnier.

Jamais fait d'école militaire

«Le piège tendu par Navarre pouvait fonctionner, reconnaît Giap, car avec notre premier plan d'attaque rapide, il fallait mobiliser des effectifs importants alors que nous étions à 500 kilomètres de nos bases. Navarre était persuadé que nous ne pouvions pas ravitailler notre armée sur ce champ de bataille au-delà de 100 km et pas plus de 20 jours. Sur le plan formel, Navarre avait raison.»

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_175/vignettes/2013-10-04giap4.jpg

Des officiers français se gaussaient de ce soldat qui n'avait jamais fait d'école militaire. « Les Français comme les Américains ont toujours sous-estimé leur adversaire, nos capacités créatrices, l'énergie d'une armée populaire, de tout un peuple qui se lève pour son indépendance et sa liberté. Castries et Navarre étaient des officiers de valeur, mais ils servaient une mauvaise cause. Le peuple français nous soutenait, il avait raison. »

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_175/vignettes/2013-10-04giap5.jpg

«Pendant la guerre américaine, j'ai aussi eu des décisions importantes et difficiles à prendre, mais l'expérience de Diên Biên Phu m'a beaucoup aidé. » En 1959 commence la construction de la piste Truong Son, plus connue sous le nom de piste Hô Chi Minh, un gigantesque réseau de communications de 20 000 kilomètres s'étalant du nord du Vietnam au sud, traversant le Laos et le Cambodge, un cordon ombilical qui, pendant 5 920 jours, jusqu'en 1975, va ravitailler en vivres, armes et munitions la résistance du Sud. Elle ouvrira, fin avril 1975, les portes de Saigon.

Offensive du Têt

En 1967, lors de la préparation de l'offensive du Têt, dans la nuit du 30 au 31 janvier 1968, Giap avait prôné une opération coup de poing dans tous les coeurs de ville du Sud-Vietnam, sur tous les objectifs à valeur symbolique comme l'ambassade américaine à Saigon, le siège de la radio et de la télévision, le palais présidentiel, les installations gouvernementales, les bases militaires, les aéroports, les postes de police. Mais sa stratégie, de frapper vite et fort et aussitôt de se retirer, n'est pas retenue. La direction du Parti estime que le maintien, partout, des positions gagnées débouchera sur une insurrection populaire. L'offensive du Têt sera une victoire diplomatique et politique incontestable, mais au prix d'un échec militaire qui laminera les meilleures forces combattantes de la résistance du Sud, que dirige le général Tra Van Tra, un proche de Giap.

10 jours auparavant, le 21 janvier 1968, Giap a débuté le siège de la base américaine de Khe Sanh, au centre du pays. « Notre objectif n'était pas de prendre Khe Sanh, mais de faire diversion, tout en préparant l'offensive du Têt. » L'affrontement durera 77 jours. Giap lèvera le siège fin mars, marquant la fin de l'offensive du Têt.

http://www.humanite.fr/sites/default/files/imagecache/largeur_max_425/vignettes/2013-10-04giap6.jpgEn décembre 1972, pendant 12 jours et 12 nuits, les États-Unis engagent 1 200 avions, dont 200 B52, dans les bombardements de Hanoi et d'Haiphong pour peser dans les négociations de Paris entre Kissinger et Lê Duc Tho. «Nos forces armées ont abattu 77 avions, dont 33 B52, un véritable exploit, et fait prisonniers des centaines de pilotes. Je me souviens que le journal "Nhân Dân" titrait le lendemain : "Le Diên Biên Phu de l'air". Et, un mois plus tard, les accords de Paris étaient paraphés. »

En 1975, Giap est encore à l'initiative avec l'organisation de la campagne d'Hô Chi Minh au cours de laquelle il lance son mot d'ordre aux soldats: «Rapidité, audace et victoire assurée.» En face, un million de soldats sud-vietnamiens déposent les armes, Saigon est libérée le 30 avril. «Vietnam Victoire», titrera « l'Humanité », et Roland Leroy, dans son éditorial titré « Un événement considérable », écrira : « La preuve est faite qu'un peuple qui lutte pour une liberté et son indépendance est invincible. »

La victoire est une question de temps

Le général Vo Nguyên Giap a été commandant en chef de l'armée populaire durant 30 ans. il quitte son poste de ministre de la Défense en 1980, démissionne en 1982 du bureau politique à la suite de divergences avec la direction du Parti. Il restera premier ministre jusqu'en 1991.

Giap était partisan d'une politique d'usure, il pensait que la victoire est une question de temps. « Au cours de notre histoire, chaque fois que nous avons eu une ligne indépendante et créatrice, nous avons obtenu des succès, mais dès que nous avons pris pour modèles des expériences d'autres pays d'une manière dogmatique, ça n'a pas marché. Par exemple, la réforme agraire a été appliquée de façon qui n'est pas vietnamienne, ce fut un échec à tous points de vue : politique, économique, social... »

Daniel Roussel

http://www.humanite.fr/monde/le-general-giap-stratege-de-la-liberte-est-mort-550496

Giap, le Napoléon vietnamien

Légende dans son pays, le Vietnam, héros de la lutte pour l'indépendance, maître stratège du XXe siècle, vainqueur de deux guerres, contre les Français puis contre les Américains, le général Vo Nguyen Giap a perdu vendredi sa dernière bataille, l'une des seules où il ait eu à rendre les armes. Né le 25 août 1911, au temps de l'Indochine française, il est mort à 102 ans, dans un hôpital militaire où il était soigné depuis trois ans. Longtemps, la mort n'a pas voulu de lui: jusqu'au milieu des années 2000, on le poussait au premier rang des grandes cérémonies officielles, frêle silhouette flottant dans son uniforme blanc, bardée d'épaulettes dorées et de décorations. Mis sur la touche ces dernières décennies, il demeurait une icône. Une figure incontournable et adulée, mais aussi quelque peu dérangeante. Car le général avait le verbe haut. Et sa présence héroïque rappelait aux Vietnamiens, en quête de mieux-vivre et de libertés civiles, que les promesses d'un conflit de trente ans n'avaient pas été tenues…

http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2013/10/04/10001-20131004ARTFIG00572-giap-le-napoleon-vietnamien.php

 


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